Anne-Laure Blanc: la littérature pour la jeunesse n’est pas morte. Au contraire!

par | 11.11.2018 | En accès libre, Passager clandestin, Slobodan Despot

Ayant eu la chance de lire, enfant, de somptueux livres de jeunesse, Anne-Laure Blanc a voulu transmettre aux générations suivantes cette quête du beau livre — et surtout du beau livre contemporain. Car (bonne nouvelle!) au milieu d’un fatras sans nom, il en paraît chaque année d’excellente facture: des textes riches, des illustrations de bon goût, un souffle et des valeurs positives qui aident à grandir. Depuis 2012, aidée par de nombreuses bonnes volontés, Anne-Laure anime le blog «Chouette, un livre!». Elle vient de publier, avec Valérie d’Aubigny et Hélène Fruchard, Une bibliothèque idéale — Que lire de 0 à 16 ans? (Éditions Critérion). Nous lui avons posé quelques questions au sujet de cette démarche porteuse d’espoir.

Quelle nourriture d’âme pour les nouvelles générations?

La bibliothèque idéale est un exercice assez classique. Pourquoi vous y êtes-vous lancées? D’où vous est venue cette idée?

Cette idée est née d’un constat très simple. Avec près de 17 000 nouveaux titres pour la seule année 2017, la littérature de jeunesse est un secteur très dynamique. Mais derrière cette production pléthorique se dissimulent une qualité très hétérogène et des appétits parfois équivoques, pour ne pas dire idéologiquement pernicieux, voire corrupteurs. Comment aider les familles à faire le choix de bonnes lectures pour leurs enfants?

Dès 2010, Anne Coffinier m’avait confié des recensions effectuées par les élèves de son Institut libre de formation des maîtres. Après avoir remanié ces travaux, j’y ai ajouté mon «grain de sel» et quelques textes introductifs. Nous avons édité un premier guide, Que lire de 5 à 11 ans? qui, sans publicité, s’est vendu à 4 000 exemplaires.

Une réédition s’avérant nécessaire, nous avons étendu notre propos en ouvrant cette «Bibliothèque idéale» aux enfants de «0 à 16 ans», ou plutôt aux familles, aux écoles et aux bibliothèques qui souhaitent leur offrir de belles lectures. Valérie d’Aubigny m’a de suite apporté son soutien, ainsi que celui de son comité de lecture, «1, 2, 3 Loisirs». La longue mémoire d’Hélène Fruchard, bibliothécaire, nous a aussi été d’un précieux soutien. Cette nouvelle édition, remaniée et enrichie, est parue en septembre 2018 chez Critérion, une marque du groupe Fleurus, en coédition avec la Fondation pour l’école.

Quel a été le principe de choix des œuvres?

Nous avons défini quatre critères de sélection, qui forment une sorte de «carré magique»:

  1. Le respect de la langue française, de son vocabulaire, de sa syntaxe, de sa poésie; un bon livre est d’abord écrit dans une belle langue.

  2. La qualité esthétique du livre, surtout de l’album, propre à éveiller l’enfant à l’art.

  3. La cohérence avec les valeurs morales et les repères traditionnels qui fondent notre société européenne, pour permettre à l’enfant lecteur de se construire d’une manière saine et équilibrée.

  4. Un regard positif et optimiste, porté sur les personnages et les situations, réels ou imaginaires.

Nous sommes parties de nos sélections respectives: celles du premier ouvrage; celles de mon blog, « Chouette, un livre!» qui, depuis 2010, a repéré plus de 1500 livres et albums; et celles du site 1, 2, 3 Loisirs de Valérie d’Aubigny et d’Hélène Fruchard qui compte plus de 3 600 titres. Nous en avons retenu environ 2 000.

Comment percevez-vous l’enseignement de la littérature dans les écoles (publiques ou sous contrat) en France? Et dans les lycées?

Sans préjuger de ce qui se passe dans le secret des classes, les listes officielles proposées aux enseignants par Eduscol, le site de l’Éducation nationale, sont d’une indigence affligeante. Si elles prônent tout de même la lecture de quelques œuvres du patrimoine (Fables de La Fontaine, contes de Perrault et d’Andersen, Histoires comme ça de Kipling…), elles ouvrent aussi et surtout sur des œuvres contemporaines — ce qui pourrait être positif, si un trop grand nombre de titres n’étaient soit niais, soit porteurs d’une idéologie délétère. Les adultes — parents, enseignants, religieux — y sont présentés sous un jour plus que critique, les messages relayés tiennent de la pire des propagandes, celle qui cherche à manipuler des esprits et des âmes encore fragiles. On y trouve, par exemple, L’Histoire de Julie qui avait une ombre de garçon de Christian Bruel ou Monsieur Crocodile a beaucoup faim de Joann Sfar.

Dans les classes de collège ou de lycée, l’étude des textes est elle-même en déshérence, dans la mesure où l’admiration pour la belle langue et la recherche du sens profond du texte sont désormais bannies. Finies, les questions sur l’actualité et l’universalité des stances du Cid! L’élève doit savoir discerner les niveaux de langage et se sentir concerné par les thématiques à la mode. Je vous sauverai tous, d’Émilie Frèche, narre le parcours d’une jeune musulmane embrigadée dans un réseau terroriste. Sous prétexte d’ouverture à l’Autre, les migrants clandestins sont mis au pinacle. Ainsi, la fiche Eduscol présentant Kinshasa Dreams d’Anna Kuschnarowa précise: «Un roman à réserver à des lecteurs avertis en fin de classe de troisième, car il comporte des passages très durs lors du récit du parcours de migrant, qu’il n’élude aucune réalité triviale (allusions à la corruption, même sexuelle).» Erreur de syntaxe comprise.

Quant au roman George d’Alex Gino et Ellen Duda, il « restitue le questionnement et le mal-être physique de George, qui sait qu’il est une fille. L’emploi du pronom personnel ‘elle’ plonge le lecteur dans l’esprit du personnage.» Il y a bien longtemps que nous avons quitté les terres de la littérature.

Mais, là encore, quelques poches de résistance existent, qui augurent de jours meilleurs. Certains professeurs sont entrés, discrètement, en dissidence.

Qu’est-ce que la culture littéraire apporte aux enfants et aux jeunes?

Dans notre introduction, nous citons Olivier Rey, et permettez-moi de le reprendre ici: « L’originalité de Rimbaud ne serait jamais advenue si elle ne s’était inscrite dans la longue tradition des lettres françaises que son éducation l’avait amené à connaître. Les poèmes de Rimbaud n’auraient pas vu le jour sans cette tradition littéraire, à laquelle il empruntait pour s’en démarquer et en laquelle il puisait leur sens». Quels seront les Rimbaud de demain, si les adolescents sont privés de toute culture littéraire?

Nous, adultes, avons pour rôle d’aider les enfants à découvrir le sens de leur vie et à dépasser les limites d’une existence égocentrique. Nous devons donc nourrir leur imaginaire, développer leur rationalité et leur sens critique, renforcer leur confiance en l’avenir. Quoi de mieux que de tremper leur caractère dans celui des grands héros? De plus, notre patrimoine littéraire est indissociable des autres domaines culturels: beaux-arts, musique, danse… Comment apprécier La Belle au bois dormant de Tchaïkovsky si l’on ne sait rien du conte?

A quoi ressemblerait un monde sans littérature?

Je ne veux pas y penser… mais est-ce seulement possible? Si le langage est bien «le propre de l’homme», un homme que nous savons gourmand, alors, gardons espoir! Le plaisir des mots mène, d’une manière ou d’une autre, à la poésie…

Quels conseils simples donneriez-vous aux parents dont les enfants sont a priori réticents à la lecture?

Lire eux-mêmes, lire devant leurs enfants, lire à leurs enfants. Sont souvent réticents à la lecture des enfants qui ont peu de livres, qui ont fait les frais d’un mauvais apprentissage de la lecture ou dont les loisirs sont trop tournés vers les écrans. Chacun sait que les filles sont plus sensibles aux romans que les garçons qui, eux, préfèrent les récits d’aventures vécues ou les documentaires: encouragez-les, faites-leur plaisir. Fréquentez les librairies, rencontrez les auteurs lors de dédicaces, complétez la visite d’un musée par l’achat d’un livre, montez des pièces de théâtre… Bref, soyez des adultes inventifs!

Comment l’irruption des outils de communication électronique a-t-elle modifié nos habitudes de lecture? Et celles des jeunes?

Paradoxalement, nous n’avons jamais autant lu. Allez à la Poste, dans une gare, dans un musée: plus de guichetier à qui exposer votre demande, mais des écrans tactiles et des consignes parfois complexes à décrypter. Les messageries instantanées ont remplacé les appels téléphoniques: les mots, souvent de bien pauvres mots, ont pris le dessus sur la voix. Nous pourrions multiplier les exemples. Si les tablettes de lecture, sur lesquelles télécharger des «livres électroniques», ont déçu les attentes des éditeurs, les téléphones semblent avoir gagné la partie: prenez les transports en commun et cherchez qui tient encore un livre en main!

Une étude Ipsos de 2016 concluait que les jeunes Français aiment lire mais qu’ils lisent assez peu: trois heures par semaine de lecture loisirs, avec une moyenne de six livres par trimestre. Le livre papier résiste — mais les jeunes lisent de moins en moins.

Votre bibliothèque idéale personnelle? Les dix livres dont vous ne pourriez vous passer dans l’île déserte?

L’Iliade, l’Odyssée, les Contes de Grimm, Alice au Pays des Merveilles, les Lais de Marie de France, La Prose du Transsibérien de Cendrars, Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche, une anthologie de la poésie française (sans doute celle de Pompidou), sans oublier un atlas, pour l’amour des cartes, et un gros dictionnaire, pour l’amour des mots…

  • Article de **Anne-Laure Blanc ** paru dans la rubrique «Désinvité» de l’Antipresse n° 154 du 11/11/2018.

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