Je n’ai pas eu conscience du moment où j’ai franchi le seuil de cette vie. Telle une fleur s’ouvre à minuit dans la forêt, quel pouvoir m’a fait éclore à ce vaste mystère? Mais lorsqu’au matin mes yeux se sont ouverts à la lumière j’ai senti que je n’étais pas un étranger en ce monde et que l’Être éternel sans nom et sans forme m’embrassait sous la forme de ma mère. Ainsi au moment du départ le même inconnu m’apparaîtra comme un ami de toujours, et parce que j’aime cette vie je sais que j’aimerai la mort. L’enfant gémit lorsque la mère le retire de son sein droit, pour l’instant suivant trouver consolation dans le sein gauche.
— Rabindranath Tagore, L’offrande lyrique (Gitanjali), traduction d’André Gide, 1912.