Ce qui est nécessaire, c’est seulement ceci: la solitude, la grande solitude intérieure. Pénétrer en soi-même et ne voir personne durant des heures, voilà ce à quoi il faut être capable de parvenir. Être seul comme on était seul, enfant, lorsque les adultes allaient et venaient, pris dans des affaires qui semblaient importantes et considérables, puisque les grandes personnes avaient l’air très occupées et parce qu’on ne comprenait rien à leurs faits et gestes. Lorsqu’on s’aperçoit un beau jour que leurs occupations sont piètres, leur métier figé et qu’ils n’ont plus de lien avec la vie, pourquoi ne pas continuer, tel un enfant, à porter là-dessus le même regard que sur ce qui est étranger, d’observer tout cela à partir de la profondeur de notre propre monde, à partir de toute l’ampleur de notre solitude personnelle qui est elle-même travail, situation et métier? Pourquoi ne pas échanger la non-compréhension intelligente d’un enfant contre le rejet et le mépris, puisque aussi bien ne pas comprendre c’est être seul, tandis que rejeter et mépriser c’est participer à ce dont on veut se séparer par ce biais-là?
— Rainer Maria Rilke, Lettres à un jeune poète