Médias suisses et coronavirus: cesser de nourrir la peur

par | 5.04.2020 | En accès libre, La poire d’angoisse, Slobodan Despot

Catherine Riva et Serena Tinari sont des journalistes d’enquête chevronnées dans les questions de santé. Face à la dramatisation et l’absence de questionnement de la part de la grande majorité des médias suisses, elles ont rédigé une mise en garde. Si les services sanitaires font leur travail, d’autres devraient se montrer beaucoup plus offensifs face à cette crise.

Conférence de presse à Berne

Nous observons avec préoccupation que la couverture médiatique actuelle de l’épidémie de coronavirus est avant tout anxiogène et émotionnelle. Cela tient au moins à deux facteurs: d’un côté, à une présentation des chiffres qui ne permet pas de se faire une idée aussi réaliste que possible de la gravité de l’épidémie et de la manière dont elle évolue en Suisse; de l’autre, à la tendance à monter en épingle des cas individuels peu représentatifs ou des situations très particulières comme celle de Bergame (Italie), sans mise en perspective.

De fait, le public suisse ne dispose pas des informations nécessaires dont il aurait besoin pour juger si les mesures prises au nom de sa protection lui semblent acceptables et justifiées, notamment au regard des effets négatifs que lesdites mesures déploient déjà et déploieront de plus en plus, en particulier sur la santé des habitants.

Les autorités fédérales ne fournissent pas certains indicateurs qui permettraient d’analyser la situation sur les meilleures bases possibles et, malheureusement, dans la grande majorité des cas, les médias ne les leur réclament pas.

Ces informations indispensables que les autorités ne communiquent pas de manière proactive, ce sont par exemple l’évolution du taux de létalité (case fatality rate ou CFR), les critères en fonction desquelles les tests sont menés ou encore la base sur laquelle les décès sont attribués à COVID-19 (suffit-il qu’un patient qui décède en étant porteur de l’infection à coronavirus pour dire qu’il est décédé «à cause de COVID-19» ou d’autres critères sont-ils appliqués?). Et malheureusement, à notre connaissance, pratiquement aucun journaliste ne les leur a réclamées. En lieu et place, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et la grande majorité des médias continuent à présenter systématiquement en premier le nombre cumulé de cas identifiés et le nombre cumulé de décès, ce qui renforce jour après jour chez le public l’impression infondée d’une épidémie qui se répand comme une traînée de poudre et ravage notre pays.

Impression infondée car, à ce jour, les modèles qui prévoyaient une évolution dramatique susceptible de mettre en péril nos infrastructures de santé se sont avérés erronés: nos unités de soins intensifs ne sont pas débordées, au contraire, elles ont même suffisamment de capacités pour accueillir plusieurs dizaines de patients venus de France. Et même en Italie, une analyse plus attentive révèle que la situation extrêmement difficile que connaissent la Lombardie et, dans une moindre mesure, l’Emilie-Romagne (https://www.epicentro.iss.it/coronavirus/bollettino/Report-COVID—2019_30_marzo_eng.pdf) semble rester circonscrite à cette zone géographique, aucune autre région n’a connu d’évolution similaire.

La capacité manifeste des hôpitaux suisses à mobiliser rapidement les ressources nécessaires pour absorber une éventuelle flambée de cas graves et la singularité du drame lombard qui ne s’étend pas au reste de l’Italie sont des nouvelles rassurantes. Elles représentent aussi des informations très importantes qui devraient être davantage mises en avant et traitées pour éclairer les décisions actuelles et futures en matière de politique de santé publique et de restrictions imposées à la population.

Malheureusement, ces aspects sont régulièrement éclipsés au profit de propos angoissants. Deux exemples illustrent bien cette tendance: lors du point de presse du 19 mars à Berne, les autorités fédérales n’ont pas hésité pas à qualifier de «dramatique» la situation dans le canton du Tessin sans fournir de chiffres étayant cette affirmation. Et le 28 mars, l’OFSP a décrit comme «énorme» le chiffre de 280 personnes sous respiration artificielle en Suisse — sans être pour autant en mesure de fournir une indication sur ce que serait la «normale» dans le domaine. Les médias n’ont pas insisté pour que les propos soient précisés; dans le second cas, le journaliste s’est même excusé d’avoir posé la question et aucun de ses collègues présents n’a bronché.

Dans le même esprit, le conseiller fédéral Alain Berset a pu affirmer que «la crise» allait «durer jusqu’en mai» sans que le média qui l’interviewait ne lui demander d’expliquer ce qu’il entend concrètement par-là, et sans que les médias qui l’ont cité par la suite ne jugent nécessaire de chercher à en apprendre davantage.

Nous sommes enfin très préoccupées par certains indices qui suggèrent qu’il existe un contrôle de l’information par le gouvernement, voire que la censure est à l’œuvre. Commentant les résultats intermédiaires d’une enquête qu’il mène actuellement sur le sujet auprès des journalistes, l’association de journalistes Impressum relevait avec inquiétude dans sa newsletter du 1er avril:

«Sur les 118 personnes qui ont répondu, certaines relatent l’interdiction d’accès de photoreporters sur des terrains publics allant parfois jusqu’à la censure par la police. Il ne s’agit pas de cas isolés — un tiers des répondants ont déjà été empêchés dans leur travail journalistique. Certaines autorités de gestion de crise cantonales s’efforcent vraisemblablement de contrôler toute l’information publiée.»

Dans une situation aussi confuse et tendue que celle que vit la Suisse aujourd’hui, il est essentiel que les médias assument pleinement leur fonction: en refusant de se laisser intimider et de céder à l’autocensure, en demandant des comptes aux autorités, et mettant tout en œuvre pour fournir aux citoyens des informations véritablement pertinentes qui leur permettent de comprendre les tenants et les aboutissants de la situation actuelle.

Catherine Riva, Serena Tinari

  • Catherine Riva et Serena Tinari sont toutes deux des journalistes d’enquête spécialisées dans l’investigation des sujets de santé et dans l’enseignement de méthodes d’enquête dans ce domaine. En 2015, elles ont fondé Re-Check, une organisation indépendante spécialisée dans l’enquête et le mappage des affaires de santé (www.re-check.ch, @RecheckHealth).

  • Article de Catherine Riva & Serena Tinari paru dans la rubrique «La poire d’angoisse» de l’Antipresse n° 227 du 05/04/2020.

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