Pain de méninges
Libération extérieure, esclavage intérieur
« La libération a été exclusivement limitée à la libération de forces extérieures: libération de la classe moyenne du féodalisme, de la classe ouvrière du capitalisme, des peuples d’Afrique et d’Asie de l’impérialisme… C’est le cas de la démocratie occidentale, où la libération politique dissimule la dépendance sous ses divers déguisements. Il n’y a pas besoin d’être enchaîné pour être esclave… Les liens extérieurs ont simplement été intégrés dans l’être humain. Les désirs et les pensées infusés par l’appareil de suggestion social l’enchaînent plus fermement que les liens extérieurs. Il en va ainsi parce que l’homme peut au moins être conscient des liens extérieurs, mais il est inconscient des intérieurs, qu’il porte en lui tout en s’imaginant qu’il est libre. Il peut toujours essayer de rejeter ses chaînes extérieures, mais comment se débarrasser de liens qu’on ignore? » — Erich Fromm, Avoir ou être.
L’homme-masse ou la psychologie de l’enfant gâté
Les deux traits fondamentaux de l’homme massifié : la libre expansion de ses appétits vitaux, et donc de sa personnalité ; et son ingratitude foncière à l’égard de tout ce qui a contribué au confort de son existence. Ces traits concourent à façonner la psychologie bien connue de l’enfant gâté. Ils sont uniquement préoccupés de leur bien-être, et en même temps ils restent étrangers à tout ce qui en est la cause. Ne voyant pas, derrière les bienfaits de la civilisation, des merveilles d’invention et d’élaboration qui impliquent quantité d’efforts et de prévoyance, ils s’imaginent que leur rôle se limite à exiger péremptoirement tous ces bien faits, comme si c’étaient des droits naturels. » José Ortega y Gasset, La révolte des masses, 1929.
La vengeance des bourreaux de travail
«Souvent chez les gens qui travaillent beaucoup et durement, nous constatons une sorte particulière de rudesse et de hargne à l’égard de tous ceux qui les entourent. C’est une forme de compensation et de revanche morale qu’ils font payer à chaque personne en guise de tribut pour la grande dépense d’énergie et l’effort extraordinaire qu’ils ont dû déployer.» Ivo Andrić, Signes au bord du chemin.
De l’incrédulité
«Il arriva que le feu prit dans les coulisses d’un théâtre. Le bouffon vint en avertir le public. On pensa qu’il faisait de l’esprit et on applaudit; il insista; on rit de plus belle. C’est ainsi, je pense, que périra le monde: dans la joie générale des gens spirituels qui croiront à une farce.» — Soren Kierkegaard.
De la franchise
« Comme il est pervers et déloyal de dire : “J’ai préféré me comporter franchement avec toi.” Que fais-tu, homme ? Il ne faut pas dire cela d’avance. La chose apparaîtra d’elle-même. Ces mots doivent immédiatement être écrits sur ton front ; ils se révèlent immédiatement dans tes yeux, comme l’aimé connaît immédiatement, dans le regard de ses amants, tout ce qu’ils éprouvent. Il faut absolument que l’homme sincère et bon soit comme celui qui sent le bouc, pour que, volontairement ou non, le passant s’en aperçoive dès qu’il s’approche. Mais l’affectation de simplicité est comme une épée “cachée” ; rien n’est plus honteux que l’amitié des loups : avant tout, évite-la. L’homme bon, simple et bienveillant porte ces qualités dans son regard, et elles n’échappent à personne. » — Marc-Aurèle, Pensées, XI, 15.
L’usage de la terreur
« L’âme des hommes doit être remplie d’angoisse par des crimes inexplicables et en apparence absurdes… Des crimes dont leurs exécutants mêmes ne comprennent pas le sens… Des crimes qui ne profitent à personne, qui n’ont d’autre but que de propager la peur et l’angoisse !… Car le but ultime du crime est de préparer l’empire absolu du crime, un état d’incertitude et d’anarchie fondé sur la destruction des idéaux d’un monde voué à la destruction. Quand les hommes seront dominés par la terreur, rendus fous d’épouvante, quand le chaos sera la loi suprême, l’heure de l’empire du crime sera arrivée. » — « L’Empire du Crime » in Le testament du Dr Mabuse de Fritz Lang (1933)
De la complaisance
«Je me suis trop soucié de l’opinion des autres. J’ai fait des sacrifices à des causes qui n’en valaient pas la peine parce que je n’avais pas le courage de faire de la peine.» — Somerset Maugham, The Summing Up, p. 37.
Ah, le rêve américain…
« Soit ils finissent par devenir soûlards, soit, pour une dizaine de roubles, ils abandonnent tout et filent en Amérique, fût-ce sans un sou, pour y “découvrir la liberté du travail dans un pays libre”… Et puis là-bas, en Amérique, un ignoble entrepreneur les exploite sauvagement, il les vole, il les rosse même, et eux, à chaque coup, ils soupirent de bonheur : “Dieu, comme ces coups sont cruels et rétrogrades chez nous, et comme ils sont nobles, agréables et libéraux ici !” » — Dostoïevski, Journal d’un écrivain, an 1873.
L’amour de la France
« Je n’aime pas ma patrie, moi. J’aime la France, c’est différent. » — Georges Brassens