Bien sûr, la créature qui a avalé Jonas était un poisson, et c’est ainsi qu’elle est décrite dans la Bible (Jonas i. 17), mais les enfants la confondent naturellement avec une baleine, et cette représentation enfantine se perpétue plus tard dans la vie — signe, peut-être, de l’emprise que le mythe de Jonas exerce sur notre imagination.
Il est vrai que le ventre d’une baleine évoque quelque chose de confortable, de douillet, d’accueillant. Le Jonas historique, si on peut l’appeler ainsi, fut assez heureux de s’en échapper, mais bien des gens, dans leurs rêves éveillés, l’ont secrètement envié. La raison en est assez évidente. Le ventre de la baleine est tout simplement une matrice à l’échelle adulte. Vous êtes là, dans cet espace sombre et calfeutré qui vous enveloppe parfaitement, avec d’épaisses couches de graisse entre vous et le monde extérieur, ce qui vous permet de demeurer dans la plus totale indifférence, quoi qu’il arrive.
Une tempête capable de fairex sombrer tous les cuirassés du monde vous parviendrait comme un écho à peine perceptible. Même les mouvements de la baleine vous seraient probablement imperceptibles… La mort mise à part, cela constitue le stade ultime, insurpassable, de l’irresponsabilité.
— George Orwell, Dans le ventre de la baleine, trad. SD.