Macron à mi-parcours

par | 21.07.2019 | En accès libre, Enfumages, Eric Werner

Plus de deux ans se sont maintenant écoulés depuis l’élection d’Emmanuel Macron. C’était en mai 2017. En novembre prochain, le président actuel aura donc effectué la moitié de son mandat. Le clair-obscur s’est aujourd’hui assez largement dissipé. Et donc il est temps de dresser un premier bilan.

On dira d’abord que Macron sait ce qu’il fait et où il va. Il a un agenda et n’en dévie pas. C’est du moins l’impression qu’il donne. Il est là pour exécuter un certain nombre de tâches, il les exécute donc. Tout ne se passe peut-être pas aussi rapidement qu’il le souhaiterait, mais il maintient le cap. Il va toujours jusqu’au bout de ce qu’il a entrepris. C’est certainement en soi une qualité. Sauf qu’il n’a peut-être pas le choix.

Concrètement, Macron est un néolibéral assumé. Tout ce qu’il peut privatiser, il le privatise. Dernièrement encore certains aéroports. Mais on ne peut pas tout privatiser. Il recourt alors à la sous-traitance. Macron est un grand spécialiste de ces choses. La perception de l’impôt est aujourd’hui sous-traitée aux entreprises. La censure également, vous l’aurez remarqué: avec la loi Avia, qui investit les plateformes numériques de compétences importantes en ce domaine. L’État les sanctionne si elles font mal leur travail, mais ce n’est plus lui-même, l’État, qui le fait, ce travail. Il réduit ainsi ses coûts de fonctionnement. La perception de l’impôt coûte en revanche très cher aux entreprises. Mais l’État s’en moque bien. Ce sont les méthodes néolibérales. Le néolibéralisme est là avant tout pour faire des économies. Que fait-on avec l’argent ainsi économisé? C’est un autre problème.

Ouvrons grand les portes…

Macron n’a évidemment jamais dit qu’il était au service de la mondialisation marchande (il préfère se réclamer de l’écologie, qui en est l’antithèse exacte), mais on ne prend pas non plus trop de risques en le qualifiant de libre-échangiste. Le libre-échange, rien que le libre-échange, tout le libre-échange. En ce sens, l’arraisonnement à l’Europe n’est qu’une première étape. Mais importante. On a vu que Macron avait adopté la méthodologie allemande en la matière. Le récent traité franco-allemand d’Aix-la-Chapelle et la transformation concomitante des deux départements alsaciens en «région européenne d’Alsace» en sont une illustration. Les Allemands ont toujours pensé l’Europe comme «Europe fédérale des régions». C’est ainsi qu’ils la pensent, car ils y trouvent leur intérêt. Reste à se demander si la France y trouve elle aussi son intérêt. On laissera également ce point de côté.

L’ouverture à l’Europe, c’est bien, mais l’ouverture au monde extra-européen, c’est mieux encore. Les accords commerciaux sont du ressort de Bruxelles, mais les parlements nationaux ont la possibilité de les refuser s’ils ne leur conviennent pas. Or, il y a quinze jours, le gouvernement français a adopté le projet de loi de ratification du Ceta, le traité de libre-échange avec le Canada, qui ouvre le marché européen à «l’élevage intensif bourré aux antibiotiques, maltraitant les animaux», selon les mots du député européen Yannick Jadot (Le Figaro, 4.7.19). On pourrait aussi parler du futur traité avec le Mercosur, que certains dénoncent déjà comme une menace majeure pour la simple survie de l’agriculture française. En revanche il devrait profiter à l’industrie automobile. Macron n’a pas initié cette dynamique, rien ne nous dit non plus qu’il serait en mesure, s’il le voulait, de s’y opposer. Pour autant le grief qu’on lui fait volontiers de chercher à accélérer encore les choses n’est pas, reconnaissons-le, complètement infondé.

Macron est libre-échangiste mais aussi multiculturaliste. On se souvient qu’en décembre dernier, en pleine crise des Gilets jaunes, il avait signé le pacte de Marrakech sur les migrations, pacte qui fait désormais de l’immigration un droit opposable. Plusieurs gouvernements européens ont refusé de signer ce texte. Cela n’aurait pas de sens de dire que Macron veut transformer la France en société multiculturelle: elle l’est déjà. Mais elle pourrait l’être davantage encore. C’est ce que pense sans doute Emmanuel Macron. On entend souvent dire que le multiculturalisme ne fonctionne pas. Mais le but de ceux qui poussent à la roue en ce domaine n’est pas nécessairement qu’il fonctionne. C’est peut-être juste l’inverse. On peut ne pas aimer le chaos. Mais le chaos peut aussi s’apprécier positivement. On joue à qui perd gagne. Diviser pour régner, s’appuyer sur les minorités pour faire pièce à la majorité rétive ou rebelle, tirer prétexte de l’insécurité ainsi créée pour justifier toujours plus de lois dans toujours plus de domaines, il faut reconnaître que l’État français, en la matière, a acquis un certain savoir-faire. Là encore, rien de neuf. Macron ne fait que mettre ses pas dans ceux de ses prédécesseurs.

…Et faisons-les taire!

J’ai parlé autrefois de ces choses — dans L’Avant-guerre civile —, je ne vais pas ici les répéter. Ce sur quoi, aujourd’hui, il faudrait peut-être insister, c’est sur le fait que les dirigeants contrôlent assez bien la situation. Je dis aujourd’hui. Il n’en sera peut-être pas toujours de même à l’avenir. Mais les néolibéraux vivent au jour le jour. Mangeons et buvons, etc. Au pire, ils feront appel à l’armée. L’armée française n’est pas exactement une armée de guerre civile, mais elle pourrait très bien, le cas échéant, le devenir. Aujourd’hui déjà, on le sait, elle est partie prenante à toutes sortes de guerres civiles à travers le monde: en Afrique, au Moyen-Orient, dans les Balkans, etc. L’actuel chef d’état-major des armées (CEMA) a lui-même participé, il y a une vingtaine d’années, à un épisode de guerre civile, très exactement en 1995 à Sarajevo. Cela a été rappelé lors de sa nomination, en juillet 2017, au poste qu’il occupe actuellement. Faisant allusion à cet épisode, Macron l’a en effet décrit comme un «héros reconnu comme tel dans l’armée».

Car, contrairement à ce qu’on croit parfois, le néolibéralisme n’est pas, purement et simplement, le laisser-faire, laisser passer. Ce n’est pas en vain qu’une des premières décisions de Macron, après son entrée en fonction, a été la pérennisation de l’état d’urgence instauré en 2015 par son prédécesseur. On peut en effet parler de pérennisation, puisque les principales dispositions de l’état d’urgence sont passées dans la loi ordinaire. C’est un moment important dans l’histoire récente de la France. Impossible, par exemple, de comprendre ce qui s’est passé l’hiver dernier à l’occasion des manifestations des Gilets jaunes sans prendre en compte le fait que les dirigeants peuvent aujourd’hui se revendiquer de la loi ordinaire pour justifier n’importe quelle action ou presque en matière répressive et de maintien de l’ordre: y compris certaines actions qu’on aurait autrefois considérées comme illégales ou contraires à l’État de droit: les arrestations préventives, par exemple.

Les violences policières de cet hiver sont également à interpréter dans cette perspective. Les auteurs de telles violences et leurs donneurs d’ordre sont aujourd’hui très à l’aise pour envoyer promener toute personne assez mal avisée pour leur adresser la moindre critique ou remontrance. Ils n’en ont rien à faire, et le disent. Ce n’est même pas qu’ils s’estiment au-dessus des lois. Car ils ont la loi pour eux: celle qu’ils ont eux-mêmes concoctée. Étrange situation, à certains égards inédite, où c’est le droit lui-même qui dit qu’on n’est plus dans l’État de droit. Mais je ne sais pas pourquoi je dis inédite. Les totalitarismes du XXe siècle en fournissent toutes sortes de précédents.

Macron s’était défini lui-même pendant la campagne présidentielle de 2017 comme «chef de guerre». Chef de guerre, peut-être, mais en guerre contre qui? Contre son propre peuple? Ce ne sont pas des choses qui se disent.

  • Article de Eric Werner paru dans la rubrique «Enfumages» de l’Antipresse n° 190 du 21/07/2019.

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