C’est question de connaître et d’être connu. Je me souviens comment on a cessé de s’émerveiller de ce que, dans le grec biblique, le verbe «connaître» signifie faire l’amour. Untel a connu unetelle ou unetelle. La connaissance charnelle. C’est ce que les amoureux se confient l’un à l’autre. La connaissance de l’autre, non pas de la chair mais par la chair, la connaissance de soi, le vrai lui, la vraie elle, in extremis, le masque tombé du visage. Toutes les autres versions de soi sont offertes au public. Nous partageons notre vivacité, notre chagrin, nos bouderies, nos colères, nos joies… nous les distribuons à quiconque se trouve dans les parages, aux amis et à la famille avec un sentiment momentané d’indécence peut-être, aux inconnus sans hésitation. Nos amoureux nous partagent avec les forains de passage. Mais à deux, nous insistons pour nous donner l’un à l’autre. Quels nous? Qu’en reste-t-il? Qu’y a-t-il encore qui n’ait pas été distribué comme un jeu de cartes? La connaissance charnelle. Personnelle, définitive, sans compromis. Savoir, être connu. Je vénère cela. Avoir ça, c’est être riche, on peut être généreux avec ce qu’on partage — elle marche, elle parle, elle rit, elle prête une oreille compatissante, elle enlève ses chaussures et danse sur les tables, elle est à tout le monde et ça ne veut rien dire, ils peuvent bien s’en repaître un peu; la connaissance, c’est autre chose, la carte non distribuée, et tant qu’elle est là, elle vous rend libre et facile et agréable à connaître, mais quand elle n’est plus là, tout est douleur. Chaque chose. Chaque objet qui croise notre œil, crayon, mandarine, affiche de tourisme. Comme si tout le monde physique avait été branché rien que pour faire passer un courant dans la partie de votre cerveau où l’imagination brille comme un filament dans un lobe pas plus grand qu’une ampoule de lampe torche. Douleur.
— Tom Stoppard, The Real Thing (trad. SD)
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