Que ce virus ait été créé par l’homme, ou qu’il ait vraiment été avalé avec une chauve-souris, il montre les deux faces de notre perdition. Nous sommes contaminés depuis belle lurette. N’avons-nous pas grandi, nous, nos enfants et nos petits-enfants, en des temps où ce que dit un sportif ou un acteur à propos des choses importantes compte plus que ce que dit un docteur ès-sciences qui sait de quoi il s’agit, ou un virologue qui n’a pas pu élaborer un vaccin parce qu’il était payé comme un chauffeur de poids lourd? C’était une civilisation qui, croyait-on, pouvait tout faire, et maintenant nous sommes témoins de ce qu’elle ne peut rien. Le virus est arrivé en premier lieu comme un philosophe à œillères qui nous a longtemps embrouillé la vue: nous n’étions même pas conscients de notre effondrement à cause de ses mirages. N’importe quel sportif qui a fait une montagne de fric était plus important qu’un savant, un virologue, un oncologue. Tous ceux qui ont amassé des fortunes colossales sont devenus les meilleurs philosophes, les meilleurs économistes, ils connaissaient l’histoire mieux que les historiens, chaque putain sur les chaînes de grand public savait mieux comment organiser la vie familiale que les gens tranquilles et honnêtes.
Dans un monde où la réalité est une profanation et le spectacle sacré, où les savants n’ont plus leur place, nous serons punis de mort, car nous n’avons pas eu la force de comprendre assez tôt que la richesse ne peut pas tout procurer, alors que nous avons cru à ce mensonge. Au diable tout leur fric, ils n’ont même pas la réponse au tout petit COVID.
— Emir Kusturica