La philosophie d’Antipresse

par | 5.06.2016 | En accès libre, Le bruit du temps, Slobodan Despot

Le premier numéro d’Antipresse est paru le 6 décembre 2015. Nous en sommes au vingt-septième et je reste seul rédacteur en compagnie de notre dessinatrice, Maëlle. J’ai cru bon de rassembler ici les observations notées à la diable au fil de ces sept mois de travail acharné et d’échanges scintillants avec nos lecteurs.

Questions de choix

En concevant notre lettre, nous n’avons jamais voulu, JFF et moi-même, créer un énième « bulletin de réinformation » ou de « contre-information » comme il en existe tant. Nous ne voulions pas non plus lancer un énième blog, un énième portail rediffusant les mêmes sélections d’informations assorties d’un minimum de commentaires.

l’Antipresse, nous l’avons précisé dans notre manifeste, n’était pas orientée contre la presse, mais vis-à-vis, comme Anticythère est l’île faisant face à Cythère. Nous voulions être un miroir, mais aussi un exemple de ce que la presse pourrait être si elle ne s’était mise en devoir de simplifier et de mécaniser notre vision du monde jusqu’à l’abrutissement général.

Nous avons donc opté pour la forme de communication la plus personnelle que nous autorisait la culture de l’internet : la lettre sur abonnement. La lettre établit une proximité bien plus perceptible entre l’auteur et le lecteur et crée un sentiment d’exclusivité.

A ce jour, de fait, nous n’avons publié que très peu d’articles de l’Antipresse sur les réseaux et n’avons autorisé les rediffusions que parcimonieusement. Notre but n’était pas de saupoudrer le grand public d’idées superficielles, mais d’initier une réflexion approfondie avec un public restreint qui, par l’acte d’abonnement, entre dans une relation volontaire et suivie avec les rédacteurs de l’Antipresse.

Questions de temps

Un numéro typique d’ANTIPRESSE comporte quelque 30’000 caractères, soit 5000 mots, ce qui équivaut à 25-30 minutes de lecture. Ajoutez à cela l’entretien audio avec le désinvité (de 20 à 40 minutes), et vous voici occupés pendant plus d’une heure, en continu, par notre lettre. Cet accaparement de votre temps de cerveau disponible — selon l’élégante expression du PDG de TF1 — est à mettre en rapport avec la durée de lecture d’un quotidien gratuit (20 minutes, comme son nom l’indique), d’un quotidien « de qualité » — de 1 à 2 heures selon les domaines d’intérêt —, ou d’un livre : environ 20 pages par heure.

La lecture de l’Antipresse réclame donc une plage de loisir et de concentration. Nous l’avions anticipé en fixant sa parution au dimanche matin. De fait, une part significative des abonnés (un sixième environ) ouvrent la lettre avant le dimanche à midi. Une moitié nous lisent dans les 24 heures suivant l’envoi. Les autres étalent leur lecture sur la semaine, et lui réservent parfois même un moment précis dans leur agenda, comme plusieurs courriers nous l’ont attesté.

Écrivons-nous trop ? Une minorité d’abonnés nous l’ont laissé entendre. Mais, interrogés sur les raisons de leur mécontentement, ces lecteurs se plaignent surtout de l’inconfort d’une lecture sur écran, et non d’un « trop de mots » dans l’absolu.

Le temps et l’espace sont les derniers luxes de l’homme moderne. Nous nous octroyons le luxe d’explorer exhaustivement nos sujets et de les placer dans une perspective culturelle aussi vaste que possible. C’est encore une exception distinctive de l’Antipresse vis-à-vis du cours principal de l’information médiatique. Réduite à des chroniques rapides et à des brèves, l’Antipresse ne serait qu’un bulletin de plus dans une offre pléthorique.

Il importe donc de laisser les sujets dicter le volume des articles plutôt que l’inverse. Nous pouvons parfois être longs, et parfois compacts, selon les besoins. Voilà au moins un avantage de la publication électronique ! Mais, dans tous les cas, nous nous efforçons d’être clairs et agréables à lire.

Questions de forme

Ce n’est donc pas le volume de contenu qui est en cause, mais le support lui-même. La lecture sur écran est adaptée à des textes relativement brefs et à une syntaxe relativement simple. Les écrans à cristaux liquides des liseuses fatiguent moins et permettent une meilleure concentration que les écrans lumineux des ordinateurs et des smartphones. Hélas, ce sont ces derniers qui vous transmettent nos écrits, et la minuscule lucarne du téléphone occupe une « part de marché » importante dans cette transmission.

En plus du problème d’attention qu’elle pose, la publication virtuelle déprécie le message en le dématérialisant. Un texte imprimé, quoi qu’on fasse, reste plus crédible qu’un texte électronique. Pourquoi, sinon, les États dilapideraient-ils des millions de rames de papier pour imprimer des rapports et des décrets que personne ou presque ne lit ? Le texte dématérialisé ne s’archive pas, ne s’annote pas et se relit rarement. Il se coule dans le flux général de la culture virtuelle, flottante, agnostique et majoritairement frivole. Quelque pertinent qu’il soit, et même capital, il est voué à s’effacer devant les nouvelles vagues de mots et d’images que le réseau mondial déverse en continu. Or nous sommes orgueilleux. Nous pensons que notre écriture mérite mieux que cela.

En vingt-six numéros, l’Antipresse vous a délivré quelque 800’000 signes de texte, l’équivalent d’un livre de 400 pages dans une typographie plutôt dense ! L’édition étant mon premier métier, l’envie me brûle de publier un « almanach Antipresse » en bon vieux papier chaque mois de décembre. Combien d’entre vous l’achèteraient ?

Beaucoup de lecteurs nous ont demandé de joindre à chaque numéro un fichier PDF qu’on pourrait imprimer chez soi. Nous l’avons envisagé. Cela nous contraindrait à modifier notre agenda de rédaction ainsi que le système d’envoi, et surtout à engager un maquettiste pour la mise en page. De plus, nous savons d’expérience que cela ne rendrait pas l’Antipresse plus « durable » : qui conserve après lecture les feuilles crachées par son imprimante ?

Tant qu’à faire, nous songeons à convertir pour ceux qui le souhaitent l’Antipresse en une vraie lettre, délivrée dans votre boîte aux lettres sur un beau papier et avec une belle typographie. Une fois par semaine, vous auriez le plaisir de recevoir un courrier qui ne soit pas une facture ou une publicité. C’est un rêve, bien sûr. Mais peut-être nos lecteurs le partagent-ils avec nous ?

Questions politiques

On nous interpelle souvent sur nos « convictions » politiques. Par réflexe, au vu de nos CV ou de notre scepticisme vis-à-vis des médias, ceux-ci nous ont forfaitairement rangés dans la droite, voire l’extrême-droite.

Ces étiquettes ne nous étonnent pas. Nous les avons même intégrées à l’équation. l’Antipresse n’aurait plus de raison d’être si la presse devenait intelligente, si elle perdait son habitude d’étiqueter sommairement les individus et leurs idées. Le plus cocasse est que nombre d’abonnements nous ont été amenés précisément par ces dénonciations caricaturales. Puis, quelques semaines plus tard, ces mêmes abonnés adressaient des messages déçus à notre « service après-vente » : « M’enfin ! On nous a trompés sur la marchandise ! On n’arrive pas à comprendre vos convictions politiques. Quel jeu jouez-vous ? »

Nous ne jouons le jeu de personne, merci du compliment. Nous doutons le dimanche, c’est tout. C’est du reste notre slogan. — Telle est la réponse que j’adresse généralement à ce genre de récriminations.

Et puis, il y a aussi ces cas comiques de journalistes « bien-pensants » qui se repentent de s’être abonnés, qui sont pris de tremblements en voyant arriver l’Antipresse dans leur boîte le dimanche — et qui ne savent plus comment se défaire de nous. A ceux-là, on recommande de lire la lettre jusqu’au bout, une seule fois, une seule. C’est là que se trouve le lien de désabonnement!

Être l’Antipresse, ce n’est pas opposer un contre-matraquage au matraquage des médias de grand chemin. Là encore, il y a assez de sites et de publications pour cela. Je doute, cela dit, qu’ils « convertissent » beaucoup de monde. Ils servent surtout à conforter les esprits dans leurs convictions préexistantes et à maintenir les tribus dans leurs enclos respectifs, laissant l’espace public (c’est-à-dire l’espace officiellement non cloisonné, non partisan) à la pleine disposition du commerce, du capital et de la société de divertissement.

La réappropriation du pouvoir public ne se fera ni par l’aile droite, ni par l’aile gauche, elle se fera par le corps des nations, autrement dit par les gens, lorsqu’ils auront surmonté les fossés artificiels qui les séparent de leurs semblables. Si nous avions un credo politique, ce serait celui-là.

Nous n’avons pas créé l’Antipresse pour étaler nos convictions, mais pour améliorer notre compréhension du monde et celle de ceux qui nous lisent.

Questions de personnes

Enfin, cet aspect qui est essentiel. L’Antipresse est, de fait, un bulletin de liaison. Il nous met en rapport avec des personnes et des milieux insoupçonnés. La répartition géographique de notre lectorat est elle-même étonnante. 80% des abonnés se trouvent à parts égales entre la France et la Suisse, mais les 20% restants sont du monde entier. La part considérable de lecteurs situés aux USA demeure pour nous une énigme. Les soirées que nous avons organisées ces derniers mois illustrent l’extrême diversité de notre public. Et les réactions que nous recueillons à chaque parution montrent que nous sommes lus avec une attention extrême ; cela nous honore.

Cette ferveur se traduit par des dons nombreux, même s’ils ne peuvent encore couvrir les frais d’une lettre d’information professionnelle. Nous vous en remercions souvent, mais on n’en fait pas trop dans ce domaine: merci, encore une fois, à vous tous, chers lecteurs, pour votre soutien!

  • Article de Slobodan Despot paru dans la rubrique «Le bruit du temps» de l’Antipresse n° 27 du 5.6.2016.

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