C’est une antique vérité connue de tous dont on ne s’occupe jamais, que souvent les peuples pâtissent plus après une victoire qu’après une défaite. Cela ne tient pas seulement au fait qu’après l’ascension la chute est plus facile et après la chute l’ascension plus probable, mais aussi au fait que les individus et les peuples n’interrogent que rarement les vraies causes de leurs victoires et, oublieux des circonstances et des conditions qui leur ont permis de gagner, tombent dans l’erreur fatale d’étendre leur sentiment de victoire aux nouvelles circonstances et dangers qui exigent de nouveaux efforts. On peut dire ainsi qu’un peuple est le plus gravement menacé au moment où il est le plus imbu de la conscience de son triomphe. Affaibli par les épreuves qu’à exigé de lui la victoire passée, il est alors le moins capable de sacrifices et d’efforts, tandis que l’ivresse du pouvoir le pousse vers des projets et des actes qui supposent et l’un et l’autre. Seul un chef avisé et une saine conscience collective sont en mesure de préserver les fruits de la victoire et de protéger un peuple des dangers qui pèsent inévitablement sur chaque vainqueur.
— Ivo Andrić, Signes au bord du chemin.
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