Le totalitarisme commence par le mépris de ce que vous avez. La deuxième étape tient en cette notion : “Les choses doivent changer, quoi qu’il arrive, tout est mieux que ce que nous avons maintenant.” Les dirigeants totalitaires organisent ce genre de sentiment de masse; en l’organisant, ils l’articulent, et en l’articulant, ils le font aimer d’une certaine façon par les gens. On leur avait dit : tu ne tueras point ; et ils n’ont point tué. Maintenant, on leur dit : tu tueras ; et bien qu’ils pensent qu’il très difficile de tuer, ils le font parce que cela fait maintenant partie du bon code de conduite. Ils apprennent qui tuer et comment tuer et comment le faire ensemble. C’est cela la fameuse Gleichschaltung, le processus de coordination. Vous n’êtes pas coordonné avec les pouvoirs en place, mais avec vos voisins – coordonné avec la majorité. Mais au lieu de communiquer avec l’autre, vous êtes maintenant collé à lui. Et vous vous sentez bien sûr merveilleusement bien. Le totalitarisme fait appel aux très dangereux besoins émotionnels des personnes qui vivent dans un isolement total et dans la peur les unes des autres.
— Hannah Arendt, «From an Interview», New York Review of Books,26/10/1978