Dans les années où nous sommes, quand on s’entretient avec ses amis ou avec des inconnus, en quelque lieu de l’Europe, la conversation ne tarde guère à se porter sur l’ensemble de notre situation et leur détresse se révèle dans toute sa profondeur. On constatera que presque tous, hommes ou femmes, sont en proie à une panique telle qu’on n’en avait plus connue dans nos contrées depuis le début du Moyen Âge. On les verra se jeter avec une sorte de rage dans leur terreur, en exhiber sans pudeur ni retenue les symptômes. On assiste à des enchères où l’on dispute s’il vaut mieux fuir, se cacher ou recourir au suicide, et l’on voit des esprits qui, encore en pleine possession de leur liberté, cherchent déjà par quelles méthodes et quelles ruses ils achèteront la faveur de la crapule quand elle aura pris le pouvoir. Et l’on pressent, non sans horreur, qu’il n’y aura pas de vilenie qu’ils n’approuvent lorsqu’on l’exigera d’eux. Parmi eux, on voit des hommes sains et robustes, taillés en athlètes. On se demande à quoi leur sert le sport.
— Ernst Jünger, Traité du rebelle.