Ce qui distingue le révolté en proie à l’indignation chronique du révolutionnaire sérieux est que le premier est capable de changer de cause et non le second. Le révolté dirige son indignation tantôt contre une injustice, tantôt contre une autre; le révolutionnaire est un haineux constant qui a placé sur un seul objet toutes ses puissances de haine. Le révolté a toujours quelque chose d’un Don Quichotte; le révolutionnaire est un bureaucrate de l’utopie. Le révolté est un enthousiaste; le révolutionnaire un fanatique. Robespierre, Marx, Lénine étaient des révolutionnaires; Danton, Bakounine, Trotsky étaient des révoltés. Ce sont surtout les révolutionnaires qui modifient le cours matériel de l’Histoire; mais certains révoltés y laissent une empreinte à la fois plus subtile et plus durable. En tout cas le révolté, malgré ses fulminations et ses enthousiasmes également assommants, est un type plus sympathique que le révolutionnaire. Je parle encore pro domo, évidemment.
— Arthur Koestler, La corde raide