Les hommes d’aujourd’hui renient leurs familles de chair, et ils renient jusqu’à leur chair, ayant souffert à cause d’elle. Ils se cherchent des frères d’esprit par-dessus les fronatières terrestres, ne se reconnaissant plus eux-mêmes dans ceux qui les entourent. Ils se veulent des frères d’idées et mettent leurs espoirs dans des parentés d’abstraction, parce que, disent-ils, nous sommes hommes avant tout, et le propre de l’homme est de discerner librement qui il est, de librement aller à qui lui ressemble. Ils se sont réfugiés dans les régions de la pensée par crainte et par dégoût de la réalité. Sur la terre, Il y a, en ce moment-ci, trop de morts. La patrie, disent-ils, c’est où une même foi règne. La vraie patrie est la patrie des cœurs. Et leur patrie, ainsi, c’est une doctrine, leur patrie un en enseignement; ils méconnaissent toute espèce de sol, et toute espèce d’attache charnelle, comme si leur pensée tirait sa substance d’elle seule et se nourrissait de son propre fonds. Plus de nations, et plus de races: je viens au contraire noter ici la race, je viens dire le particulier et chanter le particulier; dire et noter une nature, telle nature, toute nature, dire et noter les différences.
— C. F. Ramuz, Chant de notre Rhône.