Faire tenir ce que nous appelons l’État exige les grands moyens théâtraux, et l’Occident rationaliste ne déroge pas à l’expérience de l’humanité en matière d’institutions: il faut y croire, comme on croit à sa propre image. À propos des constructions, les architectes antiques parlaient de fermeté (firmitas), au sens où un bâtiment non seulement doit tenir debout selon les lois de la physique, mais aussi doit avoir l’air de tenir debout; il a la force d’une image.
Il en est ainsi de l’État: ce sont les rites qui le font exister pour en faire une image au regard des croyants que nous sommes. On n’a encore jamais vu, on ne verra jamais gouverner une société sans musique sans les chants, sans les récits fondateurs, sans les drapeaux et les emblèmes. La fameuse formule de Jakob Burckhardt sur l’État comme œuvre d’art (der Staat als Kunstwerk) est à prendre à la lettre.
— Pierre Legendre, Miroir d’une nation: l’École Nationale d’Administration, p. 55.