Pourtant, s’il doit y avoir une autre solution que la technocratie, il faut que soit mis en question ce rationalisme amoindrissant que dicte la conscience objective. Tel est, je l’ai dit, le projet essentiel de notre contre-culture: proclamer un nouveau ciel et une nouvelle terre, si vastes, si merveilleux que les prétentions démesurées de la technique soient réduites à n’occuper dans la vie humaine qu’une place inférieure et marginale.Créer et répandre une telle conception de la vie n’implique rien de moins que l’acceptation de nous ouvrir à l’imagination visionnaire. Nous devons être prêts à soutenir ce qu’affirment des hommes tels que Blake, à savoir que certains yeux ne voient pas le monde comme le voient le regard banal ou l’œil scientifique, mais le voient transformé, dans une lumière éclatante et, ce faisant, le voient tel qu’il est vraiment.Au lieu de nous empresser de minimiser le témoignage de nos voyants enchantés et de l’interpréter au niveau le plus bas et le plus conventionnel, nous devons être prêts à admettre la scandaleuse possibilité que, partout où se manifestent l’imagination visionnaire, la magie — cette vieille ennemie de la science — renaît pour transmuer notre réalité quotidienne en quelque chose de plus grand, de plus effrayant peut-être, mais sûrement de plus aventureux que le pauvre rationalisme de la conscience objective ne pourra jamais le concevoir.
— Theodore Roszak.