On se prend à haïr les Allemands comme on hait son propre assassin. Tous ensemble, ils deviennent pour nous les «Allemands» comme nous sommes pour eux les «Juifs». On maudit leurs villes, leurs enfants, leur pays. On accroche son cœur aux bombardiers anglais qui privent en une nuit de leurs maisons des dizaines de milliers de personnes. On ne dit plus: «Assez de destruction! Il faut que ça cesse! Que ça cesse! Que ça cesse!» On se dit: «Il faut qu’il en soit ainsi! Nuit après nuit, destruction, destruction, destruction!» Mais moi, je ne veux pas jeter mon cœur en pâture au moloch. Je ne veux pas haïr. Je hais la haine. Je hais la haine plus que jamais. Je crains la haine. Coupable et non coupable resteront de saison, mais que seuls les coupables meurent.
— Elias Canetti, Le livre contre la mort.