Pour un prix Darwin du journalisme

par | 30.12.2018 | En accès libre, La poire d’angoisse, Slobodan Despot

L’histoire qui suit n’a, à première vue, qu’une portée locale. Il s’agit d’une péripétie parmi d’autres liées à l’affaire Dominique Giroud qui passionne les médias de Suisse romande. Elle illustre toutefois par un exemple concret la manière dont la presse professionnelle s’est elle-même discréditée jusqu’à tomber au ras du caniveau pour ensuite implorer son sauvetage par les subsides d’Etat.

Prix Darwin du journalisme

Le 24 décembre, veille de Noël, M. Eric Felley publiait dans Le Matin un article venimeux au sujet de l’épouse de l’entrepreneur Dominique Giroud, subitement décédée d’un arrêt cardiaque et enterrée deux jours plus tôt. Un lecteur inattentif en conclurait presque que cette « affaire » cache encore une entourloupe de Giroud.

Dominique Giroud, on le sait, est une des bêtes noires de M. Felley. L’encaveur connu pour ses convictions ultraconservatrices et ses démêlés avec le fisc ne bénéficie d’aucune relâche, qu’il s’agisse de la paix des morts, de la trêve de Noël ou de l’élémentaire respect de la vie privée d’une famille. Même lorsque celle-ci traverse la pire épreuve concevable : la mort soudaine d’une mère encore jeune de cinq enfants.

Les enfants Giroud sont petits, mais tous assez grands pour savoir lire. Ils grandiront avec le souvenir du Noël le plus triste de leur vie. Ce Noël où un journaliste n’a rien trouvé de mieux à faire que de danser sur la tombe de leur mère, nommée « simple “femme de paille” ».

Le Matin, 24.12.2018.

Y avait-il eu décision de justice dans l’affaire Giroud ? Nouvelles révélations ? Non. Quand on veut à tout prix brûler quelqu’un, même la mort d’une épouse peut servir de mèche. Elle n’était pas toute blanche, certes : elle avait laissé son mari mettre à son nom des biens considérables. Les épouses d’hommes d’affaires et d’entrepreneurs valaisans et suisses, c’est bien connu, ne permettent jamais de telles choses !

En exploitant ainsi les moments les plus douloureux de la vie des gens, M. Felley n’a pas seulement attiré sur le controversé Dominique Giroud un mouvement de sympathie. Il a arraché les derniers freins que la décence imposait aux règlements de comptes médiatiques. Il n’a pas réfléchi un instant que cette décence ne protégeait pas seulement les cibles des journalistes, mais aussi les chasseurs.

La chasse sans règles n’est plus du sport, mais un massacre. Celui qui s’y lance ne devrait pas s’étonner de prendre quelques plombs.

C’est ainsi que par le plus grand des hasards, j’ai croisé ce personnage fuyant sur le quai de la gare de Lausanne. Eric Felley n’a pas eu le courage d’assumer sa muflerie. Il m’a avancé un alibi sidérant :

« Dans la mesure où ils ont mis un faire-part déjà dans le Nouvelliste, j’ai pas dit beaucoup d’autres choses que ce qu’il y avait dans le faire part qu’il y avait dans le Nouvelliste. »

J’ai vu des journalistes cacher leurs lâchetés derrière toutes sortes de prétextes, mais se planquer derrière un faire-part de deuil, c’est le pompon !

La « femme de paille » figurait-elle aussi dans le faire-part ?

« C’était entre guillemets… et “femme de paille”, je vois pas en quoi c’est spécialement diffamant… c’est pas un crime. »

Bien sûr que ce n’est pas un crime. C’est pire : une faute. La reconnaître… pas question ! Si « les réactions étaient fortes » (lisez : dégoût massif !) c’est que le journaliste a bien fait son boulot. Et puis, bien entendu, j’ai eu droit au « tout le monde en cause », au « faut pas non plus être hypocrite », au « se contenter des faits »… Sur quoi, l’invertébré s’est hissé dans son train.

En bref : s’ils ne voulaient pas être vilipendés dans les médias, les proches n’avaient qu’à ne pas publier d’annonce dans le journal et enterrer leur défunte en secret ! Et, du moment que « tout le monde en parle », il n’y a pas plus de règles éthiques à respecter dans le journalisme professionnel que dans le buzz anonyme des réseaux sociaux. Philosophie de harceleur-délateur confessée en direct.

Y aura-t-il quelqu’un dans les médias suisses pour appeler ces choses par leur nom ? Jusqu’ici, la mission des journalistes les protégeait comme un sacerdoce. Mais comme plus rien n’est sacré, peut-être se trouvera-t-il quelqu’un pour enquêter sur les enquêteurs ?

Pourrait-on imaginer qu’on dénote chez M. Felley un problème d’addiction qui l’empêcherait d’exercer tout autre métier que celui de journaliste de caniveau ? Ou qu’on dise que M. Felley utilise sa couverture de journaliste dans le cadre d’une lutte impitoyable pour le pouvoir économique et politique en Valais ? Qu’on s’interroge sur les raisons concrètes du tableau manichéen qu’il dresse de la magouille valaisanne, toujours située du même côté ? Qu’on relève que dans un journal sérieux, les conflits d’intérêts personnels et familiaux de M. Felley auraient dû le maintenir strictement à l’écart de la rubrique « Valais » ? Alors que c’est justement celle où il donne le meilleur, c’est-à-dire le pire, de lui-même.

M. Felley est aussi romancier (Nouvelliste, 12.4.2012)

Tout ceci ne sont évidemment que des rumeurs. On peut être certain que personne ne fera écho à ces fake news et que la profession journalistique se lèvera comme un seul homme pour défendre la compétence et l’intégrité de M. Eric Felley. Un prix Jean-Dumur pourrait utilement bétonner son CV.

Or, si l’on voulait sauver la profession, c’est un autre prix qu’on devrait créer pour les cas comme Eric Felley : le prix Darwin du journalisme. Ce prix distinguerait les journalistes qui, par bêtise, malhonnêteté ou incompétence, auraient le plus contribué à accélérer la mort programmée de leur espèce. Cela donnerait au public une meilleure idée de la moralité de ceux qui lui font la morale.

Post Scriptum

Nous invitons le lecteur à méditer sur le « pain de méninges » de cette semaine, le portrait d’un certain journalisme dressé par Karl Liebknecht en 1872 et cité par Karl Kraus dans Die Presse.

  • Une première version de ce texte est parue sur 1Dex.ch le 29.12.2018.

  • Article de Slobodan Despot paru dans la rubrique «La poire d’angoisse» de l’Antipresse n° 161 du 30/12/2018.

On peut aussi lire…

This category can only be viewed by members. To view this category, sign up by purchasing Club-annuel, Nomade-annuel or Lecteur-annuel.

Le chagrin de la cousine Bette

L’Europe se souviendra de cette semaine historique de la mi-février 2025. Les Européens n’y sont pour rien, cela dit. Tout s’est déroulé loin, très loin au-dessus de leurs têtes. Les eurocrates n’ont pu que contempler médusés le ballet dans les cieux en trépignant de rage.

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

Cause toujours, Socrate!

Est-il important aujourd’hui d’être compétent? Être inclusif, diversitaire, climatiquement sensibilisé, oui, c’est très important. On vous interroge sur ces sujets. Mais être compétent? Non seulement cela ne paraît pas nécessaire, mais ce pourrait même être perturbant dans le cadre du système où nous vivons.

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

Vers une radio sans auditeurs

À cause d’une «innovation» stupide, la Radio d’État suisse a perdu 30 % de ses auditeurs. Et alors? Personne ne cessera de payer sa redevance pour autant. Que la radio d’État soit ou non écoutée n’a aucune importance. L’important est que l’argent du contribuable rentre. Avec ou sans contrepartie. Plutôt sans: on se fatigue moins ainsi.

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

L’invention dernière

Quel rapport y a-t-il entre la mort d’un jeune lanceur d’alerte indien, fin 2024, et la possible fin de l’humanité? Ce rapport, vous l’avez (presque) tous dans vos smartphones et vos ordinateurs. Il se fait familièrement appeler ChatGPT. Ou d’un autre nom, peu importe. Il ne vous veut pas forcément du bien. Ni du mal d’ailleurs. Il ne vous veut pas, tout court.

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

Georges Liébert (1943-2025)

En rendant hommage à ce grand essayiste, musicologue et éditeur, Éric Werner nous retrace tout l’historique de la pensée antitotalitaire en France. Dont Liébert aura été l’un des piliers, jusqu’à son travail pour le livre capital d’Emmanuel Todd, «La défaite de l’Occident».

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

L’autre nom de Dieu

Religion «zombie», religion zéro, nihilisme: telles sont les étapes de notre dégringolade en tant que civilisation. La mort de Dieu, quoi qu’on en dise, est une donnée incontestable et définitive dans la vie des sociétés qui se disaient jadis chrétiennes. Carl Gustav Jung l’a constatée lui aussi — avant d’explorer de nouveaux chemins du retour à la divinité. C’est probablement le plus grand spirituel de l’Occident moderne.

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

David Lynch et la chute de la maison Amérique

La conscience de la chute et la nécessité du redressement, c’est selon Nicolas Bonnal le trait peu visible qui relie l’art de Lynch à la vision de Trump. C’est pourquoi il importe de s’imprégner des films du premier si l’on veut comprendre l’Amérique du second.

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

De l’argent public et de son utilisation

La ministre suisse de la Défense vient d’annoncer sa démission. Ce n’est un «coup de tonnerre», selon l’expression des médias du système, que si l’on considère que l’incompétence et la dilapidation de l’argent du contribuable ne sont pas des fautes professionnelles au plus haut niveau de l’exécutif.

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

L’enfant du siècle

Le souffle mélodieux du projecteur retient mon attention. Les images défilent et laissent transparaître un personnage clé, récurrent. Les scènes s’affinent, l’enfant prend tout l’espace et s’impose avec insistance. Ces images m’invitent à considérer la place de l’enfant dans notre société. L’évolution sociologique de la famille est indissociable du rôle de l’enfant et de sa destinée. De l’enfant-divin à l’enfant-objet, que susurre notre humanité?

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

La modernité en devenir

L’avantage de cette passe brutale et ahurissante que nous vivons, c’est qu’elle étale la réalité toute nue devant nos yeux. On est obligé de voir ce qu’on voit. Or ce qu’on voit semble surtout donner raison à Hannah Arendt.

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

Médias et antimédias

Sans aucune véritable nécessité, la Radio d’État suisse passe sur un mode de diffusion ésotérique qui va lui aliéner encore un morceau de son public. Pourquoi? D’ailleurs, qui consomme encore les médias d’État? Qui estime juste de payer une rondelette redevance pour leur entretien? De manière générale, les médias dits traditionnels semblent avoir tout mis en œuvre pour que tout le monde se détourne d’eux. Tout le monde, vraiment? Non. Heureusement ils ont encore un allié — et mécène — de poids: le pouvoir!

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

L’Antidote!

Chaque dimanche matin dans votre boîte mail, une dose d’air frais et de liberté d’esprit pour la semaine. Pourquoi ne pas vous abonner?

Nous soutenir