Quiconque a trempé dans le journalisme ou y trempe encore est dans la nécessité cruelle de saluer les hommes qu’il méprise, de sourire à son meilleur ennemi, de pactiser avec les plus fétides bassesses, de se salir les doigts en voulant payer ses agresseurs avec leur monnaie. On s’habitue à voir faire le mal; on commence par l’approuver, on finit par le commettre. À la longue l’âme, sans cesse maculée par de honteuses et continuelles transactions, s’amoindrit, le ressort des pensées nobles se rouille, les gonds de la banalité s’usent et tournent d’eux-mêmes. Les Alcestes deviennent des Philintes, les caractères se détrempent, les talents s’abâtardissent, la foi dans les belles œuvres s’envole. Tel qui voulait s’enorgueillir de ses pages se dépense en de tristes articles que sa conscience lui signale tôt ou tard comme autant de mauvaises actions. On était venu pour être un grand écrivain, on se retrouve un impuissant folliculaire.
— Honoré de Balzac, Splendeurs et misères des courtisanes