La science, qui a commencé comme recherche de la vérité, devient incompatible avec la véracité, puisque la véracité complète tend de plus en plus à un scepticisme scientifique complet. Lorsque la science est considérée de manière contemplative, et non pratique, nous constatons que ce que nous croyons, nous le croyons en raison d’une foi animale et que seules nos incrédulités sont dues à la science. En revanche, lorsque la science est considérée comme une technique de transformation de nous-mêmes et de notre environnement, on constate qu’elle nous donne un pouvoir tout à fait indépendant de sa validité métaphysique. Mais nous ne pouvons exercer ce pouvoir qu’en cessant de nous poser des questions métaphysiques sur la nature de la réalité. Or, ces questions témoignent de l’attitude d’un amoureux face au monde. Ce n’est donc que dans la mesure où nous renonçons au monde en tant qu’amoureux que nous pouvons le conquérir en tant que techniciens. Mais cette division de l’âme est fatale à ce qu’il y a de meilleur dans l’homme. Dès que l’on se rend compte de l’échec de la science considérée comme métaphysique, le pouvoir conféré par la science en tant que technique ne peut être obtenu que par quelque chose d’analogue à l’adoration de Satan, c’est-à-dire par le renoncement à l’amour.
— Bertrand Russell, Scientific Outlook, p. 198. Trad. SD.