Mais le nouveau rebelle est sceptique et ne fait confiance à rien. Il n’a pas de loyauté, il ne peut donc jamais être vraiment révolutionnaire. Et le fait qu’il doute de tout le monde le gêne vraiment lorsqu’il veut dénoncer quoi que ce soit. Car toute dénonciation implique une certaine doctrine morale; or le révolutionnaire moderne doute non seulement de l’institution qu’il dénonce, mais de la doctrine au nom de laquelle il la dénonce… En tant qu’homme politique, il s’écrie que la guerre est une perte de vie, puis, en tant que philosophe, que toute vie est une perte de temps. Un pessimiste russe dénoncera un policier pour avoir tué un paysan, puis prouvera par les principes philosophiques les plus élevés que le paysan aurait dû se suicider… L’homme de cette trempe se rend d’abord à une réunion politique, où il se plaint que les sauvages sont traités comme des bêtes; puis il prend son chapeau et son parapluie et se rend à une réunion scientifique, où il prouve qu’ils sont bien pour ainsi dire des bêtes. Bref, le révolutionnaire moderne, sceptique à l’infini, s’emploie toujours à saper ses propres travaux de sape. Dans son livre sur la politique, il attaque les hommes parce qu’ils piétinent la morale; dans son livre sur l’éthique, il attaque la morale parce qu’elle piétine les hommes. L’homme moderne en révolte est donc devenu pratiquement inutile pour tous les buts de la révolte. En se rebellant contre tout, il a perdu le droit de se rebeller contre quoi que ce soit.
— G. K. Chesterton