Il est clair que le tiers-monde, même en réunissant toutes ses forces, ne pourrait pas engager une guerre déclarée, frontale, sur un champ de bataille. […] Mais il a deux armes fantastiques: le dévouement illimité de ses kamikazes, et la mauvaise conscience de l’opinion publique occidentale envers ce tiers-monde. Car il est remarquable que cette Europe, qui ne peut pas se décider à prendre les mesures drastiques raisonnables pour rendre enfin le monde vivable, subit une mauvaise conscience permanente. Dès lors d’une part il y aura un terrorisme tiers-mondiste qui ne peut que s’accentuer et qui est imparable dans la mesure où ces combattants font d’avance sacrifice de leur vie. Quand tout, dans notre monde, sera devenu dangereux, nous finirons par être à genoux sans avoir pu combattre. Et en même temps se produira inévitablement l’infiltration croissante des immigrés, travailleurs et autres, qui par leur misère attirent la sympathie et créent chez les Occidentaux des noyaux forts de militants tiers-mondistes. Les intellectuels, les Églises, le P. C., pour des raisons diverses, seront les alliés des immigrés et chercheront à leur ouvrir les portes plus largement. Toute mesure prise par le pouvoir, soit pour les empêcher d’entrer, soir pour les contrôler, rencontrera une opinion publique et des médias hostiles. Mais cette présence des immigrés, avec la diffusion de l’islam en Europe, conduira sans aucun doute à l’effritement de la société occidentale. Par suite de la déraison manifestée depuis vingt ans par nous, l’Occident va se trouver, sur le plan mondial, d’ici vingt-cinq ans, dans l’exacte situation actuelle de la minorité blanche d’Afrique du Sud, face à la majorité noire. Et cela aura été, à longue distance, l’effet de la technicisation, jouant à deux niveaux comme nous l’avons montré.
— Jacques Ellul, Le bluff technologique, 1988.