On se dit avec épouvante que des hommes sans nombre naissent, vivent et meurent sans s’être une seule fois servis de leur âme, réellement servis de leur âme, fût-ce pour offenser le bon Dieu. Qui permet de distinguer ces malheureux? En quelle mesure n’appartenons-nous pas nous-mêmes à cette espèce? La Damnation ne serait-elle pas de se découvrir trop tard, beaucoup trop tard, après la mort, une âme absolument inutilisée, encore soigneusement pliée en quatre, et gâtée comme certaines soies précieuses, faute d’usage? Quiconque se sert de son âme, si maladroitement qu’on le suppose, participe aussitôt à la Vie universelle, s’accorde à son rythme immense, entre de plain-pied, du même coup, dans cette communion des Saints qui est celle de tous les hommes de bonne volonté auxquels fut promise la Paix, cette sainte Église invisible dont nous savons qu’elle compte des païens, des hérétiques, des schismatiques ou des incroyants, dont Dieu seul sait les noms.
— Georges Bernanos, «Nos amis les saints», Conférence prononcée à Tunis en 1947.