SwissCovid: un curieux manque… d’application

par | 24.05.2020 | En accès libre, Futurisk, Sébastien Fanti

(Traçage Covid-19 en Suisse: une coupable improvisation, 2)

La mise en place de SwissCovid, l’application de traçage en Suisse, révèle des lacunes surprenantes à tous les étages. Hormis les motifs liés à la sécurité des données, une série d’objections touchant à plusieurs domaines renforce le sentiment d’une gabegie en chorus. Le citoyen ne l’utilisera qu’à ses risques et périls.

Photo RJA1988 sur Pixabay

Le Groupement d’intérêt eHealth qui réunit des acteurs majeurs du domaine de la santé numérique en Suisse s’est adressé au Parlement ainsi qu’au Conseil fédéral le 14 mai 2020. Deux problèmes légaux ont été mis en exergue.

Où est l’appel d’offres?

On a d’abord observé qu’en optant pour la solution des Écoles polytechniques fédérales, le Conseil fédéral a porté atteinte à la liberté de commerce et d’industrie, garantie constitutionnellement. Ce groupement a donc demandé que l’Office fédéral de la santé publique autorise tous les fournisseurs à proposer leur application en ligne pour autant que celle-ci respecte toutes les prescriptions légales. Le Conseil fédéral devrait alors désigner un organe de contrôle chargé de préparer rapidement à l’intention de l’OFSP des recommandations pour la mise en circulation.

Il est vrai que le choix de ne pas procéder à un appel d’offres interpelle. Il exclut de facto des acteurs spécialisés qui auraient pu, à tout le moins, challenger l’équipe de développement des Écoles polytechniques fédérales. Ces acteurs sont en droit d’être informés sur les motifs qui ont concouru à ce choix. Si la loi sur les marchés publics a été sciemment ignorée et la liberté de commerce et d’industrie violée, la gestion du Conseil fédéral ne pourrait plus être qualifiée d’adéquate en situation extraordinaire, mais reviendrait à du dirigisme illicite.

Un dispositif médical autorisé sans vérification?

Le deuxième motif d’insatisfaction d’eHealth concerne l’application elle-même qui pourrait être considérée comme un dispositif médical et devoir ainsi être autorisée en application de différentes dispositions légales (Loi sur les produits thérapeutiques et Ordonnance sur les dispositifs médicaux). Cette vérification de conformité n’est pas une sinécure et elle pourrait considérablement retarder la mise en service. A titre d’exemple, la commercialisation d’une application visant à déterminer les périodes de fertilité ou d’infertilité de son utilisatrice dans un but de contraception ou au contraire d’aide à l’enfantement, a été interdite par Swissmedic, l’autorité qui autorise et contrôle les produits thérapeutiques en Suisse.

Selon Swissmedic, cette application constituait un dispositif médical dans la mesure où elle calculait une fenêtre de fertilité, à partir des données personnelles par l’utilisatrice. Il convient d’ajouter que les exigences légales varient en fonction des risques que chaque dispositif médical peut présenter. L’objection d’eHealth est donc pertinente et il est permis de s’interroger sur la nécessité d’une autorisation préalable à délivrer par le régulateur.

Une étrange désinvolture

Ces deux motifs indiquent que les autorités ont agi sans appréhender toutes les problématiques et surtout sans consultation préalable des acteurs. Les récentes modifications de la loi sur les épidémies permettant à l’application de traçage de disposer d’une base légale topique démontrent que ces garde-fous n’ont singulièrement pas été pris en considération. Le système a été reconnu constitutif d’une application médicale et il est indiqué que les exigences réglementaires applicables en vertu de la législation sur les produits thérapeutiques sont respectées. Cela signifie-t-il que Swissmedic a donné son aval à l’utilisation de l’application de traçage? Dans l’affirmative pourquoi ne pas le mentionner?

Mais il y a plus. Le principe de transparence qui doit être la règle pour chaque autorité de ce pays n’a pas été respecté. La transparence ne porte en effet que sur le code source et les spécifications techniques de tous les composants. Les conditions d’octroi de ce marché public aux Écoles polytechniques fédérales ne sont pas connues. Quelles sont les sommes allouées à ce titre? Comment a été résolue la question de la responsabilité? Qui va en définitive assumer un fiasco s’il devrait survenir? Tout au plus sait-on que l’application a été développée sur les budgets ordinaires des Écoles polytechniques fédérales. Lorsque l’on sollicite la confiance de 65 % de la population d’un pays (soit le pourcentage à atteindre pour que l’application soit efficiente), il faut se montrer beaucoup plus clair et proactif. Une nouvelle fois, depuis le début de cette pandémie, le manque de sérieux interpelle et inquiète. Objectivement.

Gare à l’autolicenciement!

La lecture du Message concernant la modification urgente de la loi sur les épidémies en lien avec le coronavirus (Système de traçage de proximité́) du 20 mai 2020 n’est guère plus rassurante. En termes de droit du travail, la participation au processus de traçage génère un souci et non des moindres. Voici ce que dit précisément le message:

« Si un participant au système TP ressent des symptômes typiques du COVID-19, il peut se faire tester. Si le résultat est positif, le service du médecin cantonal le contacte et lui demande s’il utilise l’application. Si c’est le cas, il génère le code d’autorisation correspondant. L’utilisateur de l’application peut ensuite envoyer l’information de manière anonyme en utilisant ce code. Cette étape est également volontaire. Les participants au système sont informés qu’ils ont été en contact avec elle durant la période où elle était contagieuse. Ils ne reçoivent toutefois aucun détail quant à l’identité́ de la personne qui a envoyé́ l’information. Ils sont cependant informés du jour — mais pas de l’heure et du lieu — où l’infection a pu avoir lieu. Ensuite, la personne informée par l’application SwissCovid reçoit les recommandations suivantes: éviter si possible tout contact physique avec d’autres personnes au cours des dix prochains jours, appeler une infoline coronavirus et, dès l’apparition des premiers symptômes, même légers, consulter un médecin et se faire tester. Si la personne informée est active professionnellement, elle peut volontairement transmettre à son employeur les avertissements qu’elle a reçus, afin que, si nécessaire, des mesures puissent être prises pour protéger les autres collaborateurs (télétravail ou mesures de protection sur place, tel que port d’un masque d’hygiène ou poste de travail isolé). Si la personne se place volontairement en quarantaine sur la seule base de l’information, elle n’a pas droit au maintien de son salaire, conformément à̀ l’art. 324a du code des obligations (CO)».

En d’autres termes, le droit au salaire n’est pas absolument garanti. Cette information devrait être clairement communiquée à chaque personne qui envisage de télécharger l’application du moment qu’elle peut avoir un sérieux impact économique sur sa vie, éventuellement fondé sur de fausses alertes — considérant que des faux positifs sont tout à fait possibles. En l’état, comme cette conséquence est mentionnée dans le message du Conseil fédéral, le participant qui subirait un dommage professionnel ne pourrait s’en prendre qu’à lui-même! Nul n’est censé ignorer la loi…

Cette analyse très partielle des risques et des conséquences du recours à l’application proposée par les autorités suisses nous porte à une conclusion sans équivoque: vous ne l’utiliserez qu’à vos propres risques et périls!

Le traçage anonyme est un dangereux oxymore: ne sacrifions pas la protection de nos données personnelles sur l’autel de la pandémie. Personne ne peut nous obliger à adopter une application qui viole la sphère privée, les lois et les procédures de l’Etat de droit.

On peut aussi lire…

This category can only be viewed by members. To view this category, sign up by purchasing Club-annuel, Nomade-annuel or Lecteur-annuel.

Amiel, le temps retrouvé

Le discret professeur genevois est l’auteur, peut-être, du plus imposant Journal intime jamais publié. Quoique très personnel, il offre également un témoignage irremplaçable sur la bascule des temps. En sa compagnie, nous arpentons les dernières aires de calme et de silence avant le déferlement de la Modernité sur nos villes.

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

La fin des belles intentions

Vous souvenez-vous des lointaines années 2000 où les entreprises vertueuses se souciaient de responsabilité sociale, d’environnement, de bonne gouvernance, de belles causes? Selon David Baverez, tout cela appartient au passé. L’efficience «guerrière» est désormais la seule norme.

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

Le totalitarisme ordinaire: à la recherche de la vérité perdue

La semaine dernière (AP460), j’évoquais le statut de la vérité qui, par temps totalitaire, se reconnaît en tant que vérité parce qu’elle est considérée comme scandaleuse et traitée en paria. Mais est-il bien sûr que «la vérité nous rendra libres» et que «la vérité vaincra»?

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

Un passé toujours présent

Comment survivait-on dans l’Allemagne en ruines de l’immédiat après-guerre? C’était déjà une «société de l’effondrement», et même pire. Un journaliste allemand en brosse un tableau d’ensemble. Révélant autant de choses sur lui-même et son époque que sur la période étudiée.

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

Gouverner par la nuisance

Lorsque l’autorité vous oblige à rouler à l’allure de la tortue, est-ce uniquement parce qu’elle pense à votre sécurité et à celle des autres usagers de la route? Ce ralentissement général ne révèle-t-il pas aussi un penchant moins rationnel du pouvoir?

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

Union Européenne: un manuel de la non-compétitivité

Les eurocrates se félicitent du rapport sur la compétitivité de l’UE produit par Mario Draghi. Sclérose, immobilisme et assujettissement, répond Arnaud Bertrand en démontrant la faiblesse de cette analyse — et en prenant à témoin son exemple personnel d’entrepreneur européen qui a fini par s’expatrier. Comment, du reste, pourrait-on attendre un redressement de la part de cette même nomenklatura qui a conduit le continent dans sa fosse actuelle?

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

Les nouvelles pantoufles de M. Le Maire

M. Bruno Le Maire est une des personnalités les plus éminentes de la vie publique française, à en juger par la place qu’ont accordée les médias à son pot de départ. M. Le Maire était jusqu’ici le ministre français de l’Économie et des Finances. Que va-t-il faire maintenant?

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

L’édifiante mésaventure du chevalier du Rove (2)

Le propriétaire de Telegram, à ce que l’on sait, est encore en France. L’oiseau sans nid vit désormais avec un fil à la patte. Nous ne savons toujours pas pourquoi il s’est de lui-même posé dans le piège qu’on lui tendait. Mais nous commençons à comprendre comment il pense. Les services compétents aussi, sans doute.

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

Questions de sens

Au milieu de tout ce qui se passe, on se demande parfois si ce qui se passe, justement, a un sens — pas seulement donc une explication, mais un sens: où va-t-on, en fait?

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

Embrasement, effondrement et capital guerrier (2/2)

Le monde occidental est de toute évidence en proie au processus d’effondrement des systèmes complexes déjà bien décrit par les historiens du temps long: de l’embrasement à la recomposition du capital guerrier, propre à des temps troublés. Quelles conséquences concrètes devons-nous en attendre?

L’ANTIPRESSE EST UN ANTIDOTE À LA BÊTISE AMBIANTE

Déjà abonné(e)? Je me connecte.

Pas encore membre? Je m’abonne!

Je veux en savoir plus? Je pose des questions!

The edifying misadventure of the Chevalier Du Rove (aka Pavel Durov)

The owner of Telegram, as far as we know, is still in France. The bird without a nest now lives with a police ankle tag on its foot. It is still unclear why he himself landed in the trap set. But we are beginning to understand how he thinks. The intelligence services too, no doubt.

L’Antidote!

Chaque dimanche matin dans votre boîte mail, une dose d’air frais et de liberté d’esprit pour la semaine. Pourquoi ne pas vous abonner?

Nous soutenir