Le laboratoire de l’immortalité communiste

par | 30.08.2020 | En accès libre, Passager clandestin

À Prague, on visite un étrange laboratoire, creusé dans les entrailles d’une montagne. Là-bas, chaque nuit, une équipe de médecins et de techniciens réparait le cadavre de Klement Gottwald, premier président communiste du pays. Olivier Toublan nous emmène visiter ce lieu parmi les plus fantomatiques de la planète.

L’homme qui n’a pas réussi à devenir immortel

À Prague, plus rien n’étonne. N’est-ce pas la ville où le rabbin Loew créa un monstre de glaise, où Faust, de sa plus belle plume, signa son pacte, où Gregor Samsa se transforma en cloporte? A Prague donc, Klement Gottwald, syphilitique et alcoolique, tenta de devenir immortel. Sans succès, malgré la protection d’un général aveugle. Dit comme ça, on pense à un conte de Borges. Pourtant, tout est absolument véridique dans cette histoire.

Le général, c’est Jan Žižka, furieux guerrier maintes fois blessé, chef des troupes hussites, vaincu, néanmoins devenu héros national de la Tchécoslovaquie. Sa statue équestre, immense, domine désormais toute la ville de Prague et protège le Mausolée national qui abrite la tombe du soldat inconnu, le mémorial des armées soviétiques, les héros de la Révolution de velours. Et, jadis, le corps embaumé de Klement Gottwald, présenté au peuple dans un cercueil de verre.

##### Le mausolée (photos OT)

Si vous n’êtes pas tchèque, ce nom ne vous dit probablement pas grand-chose. Pour faire court, ce protégé de Staline fut le maître d’œuvre du coup d’État qui renversa la fragile république tchécoslovaque en 1948, pour imposer un régime communiste qui allait durer un tout petit peu plus de cinquante ans. Il en sera le premier président. Un président rongé par la syphilis, le foie détruit par un alcoolisme ravageur, provoqué, dit-on, par sa peur d’être purgé par Staline. Peur justifiée d’ailleurs, puisque c’est bien l’oncle Joseph qui va le tuer. Mais pas comme il l’avait imaginé. L’histoire est assez ironique pour être contée.

Staline meurt. Klement Gottwald, peut-être enfin apaisé, se rend à l’enterrement du petit père des peuples, ignorant l’avis de ses médecins qui avaient déconseillé le voyage jusqu’à Moscou. À son retour, dans l’avion, c’est la rupture d’anévrisme. Et la mort, trois jours plus tard. Le 14 mars 1953. Il avait 57 ans. Il aura été président de la Tchécoslovaquie pendant cinq ans. Suffisant pour que le Comité central du parti le considère comme un héros national, à honorer au même titre que le général aveugle.

Comme pour Lénine, comme pour Staline, on décida de l’embaumer. Une équipe de spécialistes fut envoyée de Moscou pour conserver son corps. Dans le Mausolée national, on dégagea à la va-vite quelques cadavres de héros oubliés, pour faire place à un cercueil de verre. À l’intérieur, le corps de Klement Gottwald dans son uniforme de chef des armées, bardé de mille médailles, présenté au peuple, à titre d’exemple pour les générations futures. L’immortalité, autrement dit.


##### Le labo (photos OT)

Sauf que, comme souvent, tout ne se passa pas exactement comme prévu. Derrière l’apparence sereine de l’ancien président, comme endormi, la vermine faisait son œuvre. Il semble que l’embaumement n’ait pas été fait selon toutes les règles de l’art. La préservation du cadavre demandait une attention quotidienne. Chaque soir, après la fermeture du mausolée, après le défilé obligé des ouvriers, des ménagères en pleurs, après la visite des écoles, le corps était descendu par un ascenseur dans un laboratoire secret, creusé dans les entrailles de la montagne.

Et là, chaque nuit, une équipe de docteurs, d’infirmières, de scientifiques, de techniciens, s’occupait du cadavre. Traitement chimique, élimination des insectes, préservation des tissus, maquillage, et même, du moins c’est ce qu’assure la légende, le remplacement d’une jambe entière, trop décomposée. Bref, on réparait le mort, comme on réparerait une voiture. De telle manière que, au petit matin, à l’ouverture des portes du mausolée, le président ait retrouvé un aspect présentable, aussi immuable que le régime.

Aujourd’hui, on peut visiter ce laboratoire du pouvoir. Qui fut pourtant longtemps si secret que seuls quelques pontes du parti en connaissaient l’existence. Les gens qui y travaillaient avaient interdiction d’en parler, même à leur famille, sous peine de représailles. On déambule dans ces installations étonnantes, une chambre d’hôpital souterraine, où les équipes médicales s’occupaient du cadavre, mais aussi le bureau des techniciens, couvert de manettes, de compteurs, de leviers, posé au-dessus d’une salle remplie d’un amas de tuyaux, de réservoirs, de pompes, de ventilateurs, qui permettaient de maintenir la température du mausolée à exactement 16°, avec exactement 80 % d’hygrométrie. Tous les jours et toutes les nuits pendant neuf ans.

Car l’immortalité ne dure qu’un temps, même pour les dirigeants communistes. En 1962, les médecins assurèrent que l’état du cadavre, en décomposition avancée, ne permettait plus sa présentation. Ça tombait bien, on était en pleine période de déstalinisation, le culte de la personnalité n’était plus à la mode, ni Klement Gottwald, d’ailleurs. Le Comité central décida de l’incinérer, conservant néanmoins ses cendres sous une dalle de marbre rose, plus discrète que son sarcophage de verre.

Mais la déchéance de l’ancien dirigeant stalinien se devait d’être complète. Après la chute du communisme, ses cendres et celles d’une vingtaine d’autres dirigeants furent évacuées du Mausolée national pour être enterrées dans une fosse commune, dans un grand cimetière de la périphérie de Prague. Nous sommes allés visiter ce cimetière aux pierres tombales affaissées, mal entretenues, dévorées par les ronces. Nous n’avons pas trouvé les derniers restes de Klement Gottwald. L’homme qui n’a pas réussi à devenir immortel.

  • Journaliste et directeur de publications dans sa vie antérieure, Olivier Toublan n’est plus, depuis plusieurs années, qu’un voyageur curieux et attentif dont l’adresse est «planète Terre». Lire également, d’Olivier Toublan et Azota Pelin: «Des villes américaines», Antipresse 46 | 16.10.2016.

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